Et si on franchissait la ligne rouge ?

Parler de couleur « rouge » c’est presque incongru. En effet, le rouge est la couleur par excellence ! Pourquoi ? Dans l’Antiquité, le système chromatique tournait autour de trois pôles, le blanc, le noir et le rouge qui était la couleur, un point c’est tout ! C’est la première couleur que l’homme a maîtrisée, fabriquée, déclinée… Cela lui a donné la primauté sur toutes les autres pendant des millénaires. 

Plus tard, beaucoup plus tard, la suprématie du rouge s’est imposée à tout l’Occident (nous parlons ici surtout de l’Europe). Le rouge a un passé glorieux ; il représente le pouvoir…. de la religion et de la guerre. Il renvoie à deux éléments omniprésents, le feu et le sang. 

Ne pas oublier (comme pour toutes les couleurs), que nos conceptions actuelles ne sont pas celles des sociétés du passé, pas plus que celles du futur ; le regard est toujours culturel et l’histoire des couleurs est avant tout une histoire sociale. 

  • La couleur rouge, unique et sacrée 

Les premières peintures ou traces datent d’environ 33 000 ans ! Et c’est presque toujours en rouge qu’elles apparaissent. Il n’est pas interdit de penser que le rouge a été la teinte utilisée sur le visage et dans les parures. Est-ce pour cela que les cosmétiques sont avant tout rouges, toutes nuances confondues ?

Parlons des grottes (Chauvet, Lascaux, Altamira, etc.), on y trouve des noirs, des bruns, plus rarement des jaunes, mais surtout des rouges. Et on a découvert que certains ocres jaunes étaient chauffés pour rendre leur eau et se transformer ainsi en ocres rouges

Quittons la préhistoire et faisons un bond dans l’Egypte pharaonique. En plus des pigments minéraux, Ils savent transformer les matières végétale et animale – la garance, le kermès, la pourpre – en pigment. 

Dans la peinture funéraire égyptienne, le rouge est plus souvent négatif que positif. C’est la couleur du désert brûlé mais aussi celle des peuples qui y habitent. Elle est signe de silence, de guerre, de destruction. La langue n’est pas en reste pour souligner le caractère malfaisant du rouge: par exemple un même mot signifie « rougir ou mourir » et « inspirer de la terreur ». Mais tous les rouges ne sont pas maléfiques ; certains signifient la victoire ou le pouvoir. D’autres les forces vitales.  Chez les Sumériens et Assyriens, les statues de leurs Dieux en pierre ou en argile sont majoritairement peintes en rouge. C’est à la fois la couleur du sacré et du monde vivant. 

  • Le feu et le sang… et le vin

Il est indéniable que le rouge a longtemps joué le premier rôle en tant que couleur. Mais pourquoi ?

Parlons du feu. Source de lumière et de chaleur, comme le soleil, le feu est doté d’une vie autonome. Il fait l’objet de cultes (en Inde et en Perse, le feu possède ses temples ; il permet de communiquer avec les Dieux). Les divinités du feu sont pléthores.

Pauvre Vulcain. Chez les Romains à la fois créateur ingénieux et magicien nuisible, Vulcain est boiteux, disgracieux et roux. A son image, les forgerons seraient ambigus et un peu sorciers. 

En résumé, le feu est favorable, purificateur, mais aussi fourbe, violent, destructeur. Et donc le rouge est à son image, bénéfique ou maléfique mais toujours plus fort que n’importe quelle autre couleur. 

Évoquons le sang. Lui aussi source de vie et de mort. Lui aussi permet de communiquer avec les Dieux, souvent sous forme de sacrifices sanglants. Le sang a donné naissance à des croyances, des superstitions, des récits, des mythes. Il peut être pur, impur, sacré, tabou, salvateur, périlleux, mortifère. Ces sacrifices sont attestés au Néolithique, mais également dans l’ancien testament. Et à peu près dans toutes les civilisations anciennes.

Osons le vin. Dans certains cultes, (comme Dionysos en Grèce) le vin remplace le sang. C’est le sang de la vigne. Il est lui aussi breuvage de vie, d’immortalité, source d’énergie, de santé, de joie, symbole de connaissance. La vigne est un don des Dieux. Le vin est symboliquement associé au rouge.

  • La peinture et Pline (encore lui !)

Seule « L’Histoire naturelle » de Pline nous donne des éléments de son époque. Et c’est grâce à ses analyses sur les peintures qu’il nous aide à comprendre pourquoi le rouge était la couleur la plus présente. Les peintres romains utilisaient des pigments très nombreux, tout comme avant eux les Égyptiens et les Grecs. Le rouge était omniprésent dans les peintures murales. La plupart du temps, ils chauffaient l’ocre jaune qui se transforme en orangé, en rouge, en violet, en brun. Et utilisaient hématite, cinabre, sinopis, réalgar, minium, résines de tuya et cyprès, garance, kermès, pourpre, etc. etc. 

  • La teinture, et en prime la pourpre

C’est dans la gamme des rouges que le teinturier a été performant très tôt. Avant le 3e millénaire avant notre ère, nous trouvons déjà des traces de rouge. A l’époque, le premier colorant utilisé était la  garance suivi par le kermès. Le problème était que la garance restait désespérément mate. Et le kermès (matière animale) fort prisé et cher, était intense et lumineux, mais compte tenu de sa cherté, cette teinture était réservée aux étoffes de luxe. 

Chez les Romains, la pourpre était la teinture la plus prisée, signe de richesse et pouvoir. Seuls les rois, les chefs, les prêtes et les statues des Dieux avaient le droit de s’en vêtir. D’ailleurs l’expression « prendre la pourpre » signifie accéder à de hautes fonctions, civiles, religieuses ou militaires. Pour exemple, sous le règne de Caligula, le fils du Roi de Macédoine Juba II s’est montré à Rome vêtu de pourpre. Il fut arrêté et mis à mort. 

  • La vie de tous les jours

Rome ne s’est pas distinguée – n’en déplaise à certains – par la pierre et le marbre. Sa couleur était la brique qui avec la tuile a fait de Rome la ville rouge

Les couleurs des vêtements les plus fréquentes étaient le blanc, le jaune, le rouge et le noir. Et le rouge dominait dans les fards (blanc sur le front, les joues, les bras, noir autour des yeux) et rouge sur les pommettes et les lèvres. Mais les bijoux, les pendentifs et autres pacotilles étaient rouges, donc beaux et séduisants. ils portaient bonheur puisqu’il s’agit de rubis (le plus recherché), grenat, jaspe, cornaline. 

Mais savez-vous quel était le rouge préféré des Romains ? C’est le rouge de la crête du coq. Il ne faut pas oublier que le coq était vénéré à l’époque. Un oiseau qui porte une telle couronne ne pouvait qu’être aimé des Dieux!

Parlons de César franchissant le Rubicon. Petit fleuve côtier, le Rubicon doit son nom à la couleur rougeâtre de ses eaux. C’était la frontière géographique entre la Gaule cisalpine et l’Italie ; mais c’était surtout et avant tout la limite symbolique que ne devait pas franchir un général romain sans l’autorisation du sénat. César, poursuivant Pompée, a franchi la ligne rouge « cad le Rubicon » – la frontière interdite. Il a ainsi provoqué une guerre civile dont les conséquences seront énormes pour l’avenir de Rome. 

C’est à cette légende qu’il est fait allusion dans l’expression française « franchir le Rubicon » qui veut dire…. « franchir la ligne rouge » !         

  • L’église, le sang du Christ

Dans sa traduction latine, le texte biblique prend des couleurs. 

Prenons deux exemples édifiants. Là où l’hébreu parlait d’une étoffe magnifique, le latin traduit étoffe rouge, et le français tissu écarlate. Là où le grec parlait d’un vêtement royal, le latin traduit habit de pourpre, et le français manteau cramoisi. Et voilà comment on construit une symbolique ambitieuse qui influencera la vie religieuse: liturgie, costumes ; la vie sociale: vêtements, armoiries, cérémonies ; la création artistique. 

Parlons des quatre rouges de l’Eglise

  • Le rouge feu est associé aux flammes de l’enfer et au dragon de l’Apocalypse. C’est le rouge qui trompe, qui ravage et qui détruit. C’est donc celui du diable et des démons. 
  • Mais ce rouge feu peut être positif : épisode du Buisson Ardent dans l’ancien testament et dans le nouveau ce même rouge feu d’origine divine donne la vie. Il est lumineux, souffle de vie, puissant. 
  • Le rouge, associé au sang est lié à la violence et à l’impureté. C’est le rouge qui arrive tout droit de la bible, à savoir celui des péchés, des crimes de sang, de la révolte contre Dieu. Ce rouge sang détestable n’est pas que biblique, il existait dans l’antiquité païenne. On vous fait grâce du texte le plus cité de Pline (encore lui!) sur le sang menstruel. Et on évitera également de parler de commentaires de certains théologiens qui y voient une punition infligée par Dieu à Ève…..
  • Mais il y a un rouge sang bienfaiteur, un rouge qui donne la vie : celui du sang que le Christ a versé sur La Croix! 
  • Le rouge du pouvoir… et de l’aristocratie

Jusqu’au 14e siècle, tout le monde religieux catholique était habillé en rouge, même le pape (avec un peu de blanc quand même) ; robe, bonnet, manteau, mules étaient rouges. Sachez qu’aujourd’hui seules les mules sont restées rouges….

Au Moyen-Âge, les empereurs de Rome et Byzance étaient vêtus de rouge. Beaucoup de monarques ( Sicile, Allemagne, Ecosse, Pologne, Angleterre, péninsule ibérique) étaient également vêtus de manteaux de couronnement et bannière rouges. Seul le roi de France n’a jamais revêtu un tel manteau (il était bleu azur semé de fleurs de lis d’or). Le seul élément existant en France, signe de pouvoir était l’oriflamme, rouge évidemment. Toutes ces étoffes, tous ces objets soulignent combien dans l’Occident médiéval, la couleur rouge évoque le pouvoir. Ainsi les juges (et même le bourreau portait un vêtement de cette couleur) étaient vêtus de rouge.

C’est la couleur préférée de l’aristocratie en Occident. Prenons pour exemple les armoiries. En Europe, en gros, nous connaissons 7 000 armoiries, et plus de 60 % comportent du rouge.

  • Le cocktail explosif : amour-gloire-beauté

 Couleur de la beauté et de l’amour chez ces nobles dames, symbole de courage, de puissance et de gloire pour ces messieurs. Couleur donc tout aussi prisée au féminin qu’au masculin. Dans les textes et images, on le trouve aussi bien associé à l’amour du Christ qu’à l’affection qui unit deux époux, au commerce charnel entre amants, et même à la débauche la plus extrême. 

Précisons qu’au Moyen-Âge, certains règlements obligeaient les prostituées à porter un vêtement de couleur criarde, il va de soi que le rouge était en tête. Dans les imagiers médiévaux, Marie-Madeleine est le plus souvent vêtue d’une robe rouge, d’une chevelure rousse et le visage fardée ; une belle façon de rappeler qu’elle était une ancienne courtisane!

Plus charmant, notons qu’à la fin du Moyen-Âge, les fruits rouges (surtout les cerises) sont un attribut symbolique de l’amour. C’est un moyen de déclarer son amour, sans avoir besoin de le dire. D’où l’expression « le temps des cerises » qui est le temps de l’amour.  

14e / 17e siècle. Le ROUGE répudié, jeté aux orties

  • L’église, au sens large

Le rouge entre dans une période de turbulences ; avec le bleu désormais couleur favorite, et la montée des tons noirs dorénavant très en vogue dans les milieux huppés, incarnant luxe et élégance vestimentaires. 

Mais si le rouge est en danger, c’est surtout à cause des nouvelles morales de la couleur propagées par la Réforme protestante. Le rouge des vêtements apparaissait comme une couleur trop voyante, trop coûteuse, indécente, immorale, dépravée… et plus si affinités. 

  • Dans les flammes de l’enfer

Dorénavant (allez savoir pourquoi) le rouge chrétien est associé aux crimes de sang et aux flammes de l’enfer. Plus banalement, il est assimilé à la violence, la débauche, la trahison et le crime. 

Au début du 14e siècle, le système des sept péchés a été mis en place avec le rouge rattaché à quatre d’entre eux : l’orgueil, la colère, la luxure et la goinfrerie. Vous noterez que la palette du vice est à dominante rouge. (L’avarice est associée au vert, l’envie au jaune). Pour la petite histoire, les auteurs ne s’accordèrent pas pour la couleur de la paresse (tantôt rouge, tantôt jaune). Combien de remue-méninges pour arriver à un tel non-choix ?

Le rouge était également présent dans les rituels judiciaires. Costumes et couvre-chefs rouges évidemment étaient portés par les condamnés, les galériens, les bagnards et déportés ainsi que les charrettes et tombereaux qui les conduisaient, peints en rouge.

Le rouge est à la fois la couleur de la faute et celle du châtiment. Cette association remonte loin (il y a quelques exemples dans la bible). Et on peut même observer des prolongements (moins radicaux certes) dans nos usages contemporains. Les copies d’écoliers corrigés à l’encre rouge, les menaces de sanction affichées en lettres rouges, ou encore le fait d’être inscrit sur la liste rouge.

  • L’inénarrable Judas...et les autres

Judas, à qui on attribuait une pilosité rousse (donc associée au rouge), signe du traitre, n’était pas tout seul. En ce qui concerne les traîtres et les félons, la liste est longue. Caïn meurtrier de son frère Abel ; Ganelon, le traître de la Chanson de Roland ; Mordret, le traitre des romans de la Table Ronde. On peut ajouter deux figures animales Renart, goupil rusé, et Fauvel, cheval incarnant tous les vices. Tous les deux ont le poil roux, signe de leur hypocrisie et de leur perfidie. 

On aurait pu penser que dans le monde germano-scandinave, les roux seraient mieux considérés (ils sont plus nombreux non ?). Que nenni, le dieu le plus redouté Thor est roux, de même que Loki, le démon du feu. 

En conclusion, l’imaginaire des Germains, des Celtes ne diffèrent pas de celui des Hébreux, Grecs et Romains. Il ne faisait pas bon être roux ! Pourquoi ce rejet ? Retenons l’explication la plus sérieuse (a priori) ; il appartient à une minorité, et donc il dérange et inquiète. 

  • La haine du rouge

Dès les années 1500, des décrets émanant des autorités civiles se multiplièrent pour stopper les dépenses somptuaires (les tissus rouges étant très chers) ; combattre les nouvelles modes jugées frivoles, indécentes, voire scandaleuses. Mais il s’agissait en fait de garder les barrières entre les différentes classes sociales. Certaines couleurs étaient interdites à certaines classes, d’autres étaient proscrites. Evidemment le rouge fut malmené. 

Les prostituées étaient obligées de porter une couleur criarde pour qu’on les reconnaissent : ce sera donc le rouge. D’autres avaient l’obligation de porter un insigne rouge : bouchers, bourreaux, lépreux, ivrognes, simples d’esprit, condamnés…. Auxquels on ajoutait selon les régions, les juifs et les mahométans. 

Parlons de trois réformateurs chromophobes : Luther et Melanchthon et Calvin. Evidemment, luthériens, calvinistes et même anglicans sont les ennemis des couleurs vives (pauvre rouge !) qui selon un prêche célèbre de Melanchthon en 1527 « habillent les hommes comme des paons ». C’est pourtant beau un paon non ? Il faut savoir qu’en 1558, une ordonnance vestimentaire a interdit le rouge aussi bien pour les hommes que pour les femmes. 

  • Mais le rouge a encore quelques adeptes

Du Moyen-Âge à l’époque moderne, de grands peintres ont sublimé la couleur rouge : Van Eyck, Uccello, Carpaccio, Raphaël, Rubens, Georges de La Tour. Tous les artistes ont créé de magnifiques rouges cramoisi, violacé…

Le rouge reste aristocratique à cause du coût des teintures. Mais il reste encore en vogue pour les fêtes, les cérémonies et surtout pour le mariage pour tout le monde. Et oui ! La robe de mariée se devait d’être rouge ! Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle deviendra blanche. 

Parlons du Petit Chaperon Rouge. Plein d’explications existent au sujet de ce vêtement rouge. Parce que les enfants à cette époque étaient souvent habillés en rouge afin de mieux les surveiller. Parce que le récit se situe le jour de la Pentecôte. Parce que la fillette est pubère et a très envie de se retrouver dans le lit du loup. Parce qu’il s’agit d’une triade de couleurs, et il faut donc ajouter au manteau rouge de la fillette, le noir du loup et le blanc du petit pot de beurre. Dans l’ordre explications historique, liturgique, psychanalytique, sémiologique. A vous de choisir. 

  • Le rouge et le rose 

Le 18e siècle voit apparaître la mode des teintes claires, pastel. Le rouge n’a donc plus sa place dans les vêtements et les maisons. On préfère dorénavant des nuances plus discrètes, plus subtiles et on voit donc émerger le triomphe du rose

Notons que le rose – au siècle des lumières – n’était pas réservé aux filles. Les garçons l’ont porté jusqu’à la fin du 19e siècle. A noter que la couleur rose ne s’appelait pas rose mais incarnat. Il aura droit à l’appellation « rose » plus tard grâce à la coloration des pétales de la fleur. 

La question est : pourquoi le rose est devenu la couleur des filles et le bleu, la couleur des garçons ? Les bébés étaient habillés en blanc car les couleurs ne résistaient pas aux lavages répétés à l’eau bouillante. Mais de nouvelles teintures plus résistantes ont permis cet usage. Ce choix sexué qui se met en place arrive des Etats-Unis. Autant dire que c’est le début des modes importées des Etats-Unis!

  • Les mondaines et le fard

Malgré le recul des vêtements rouges au siècle des lumières, l’usage du rouge à joues et à lèvres ne disparait pas pour autant. Pour la petite histoire, vers 1780, un rouge non toxique appelé « le rouge de la reine » a été créé et vendu par une certaine Demoiselle Latour. Et que dire de l’invention d’un certain chimiste qui inventa un rouge à lèvres indélébile. Vous le connaissez, il s’appelle le « rouge baiser » !

Mais dès le début du 20e siècle, le rouge se féminise. Le fameux pantalon garance de l’armée française fut abandonné en 1915. Et pour cause, on les voyait de loin ! Le rouge n’habille plus les hommes mais continue à embellir les femmes. 

Et dès la fin du 19e siècle, le rouge est intense et très présent surtout dans la peinture et dans certains milieux de perdition. Manet, Toulouse-Lautrec, Modigliani, Van Dongen, etc.

  • Le rouge et la politique

Né de la Révolution française, le rouge devient la couleur des luttes sociales, puis prend une dimension internationale au 20e siècle. L’ampleur est telle que le rouge a été confisqué par  un courant idéologique. La conséquence est que le mot « rouge » signifie socialiste, communiste, extrémiste, révolutionnaire….

Notons qu’à l’origine de ce phénomène il y avait deux objets : un simple bonnet rouge porté par les patriotes et sans-culottes, et un drapeau rouge, qui devient l’emblème du peuple révolté contre les tyrannies. Mais attention tous les révolutionnaires n’aiment pas le rouge. Robespierre n’a-t-il pas dit qu’il n’aimait ni les bonnets rouges (les sans-culottes) ni les talons rouges (l’aristocratie). 

Parlons du communisme et de sa couleur emblématique

  • Pour commencer, il est clair que la France a échappé au drapeau rouge grâce à Lamartine. En effet lors de la révolution 1848, Lamartine, membre du gouvernement provisoire a repoussé le drapeau rouge des insurgés et a retourné l’opinion en faveur du drapeau tricolore. 
  • En 1890, le 1er mai est choisi comme fête internationale des travailleurs et c’est sur les cinq continents que le drapeau rouge est de sortie. 
  • L’étape-clé est évidemment la révolution russe de 1917. Le drapeau rouge devient le drapeau officiel de l’URSS en 1922. Dès lors partout dans le monde, le drapeau rouge est adopté par les syndicats, les partis et les régimes proches du communisme, ou carrément communistes. 
  • En 1949, c’est la Chine qui reprend le flambeau rouge.
  • En mai 1968, les affiches sont plus rouges que rouges, mais dans les manifestations ou barricades, on voit également surgir le drapeau noir (anarchistes et nihilistes).

Pleurons sur le rouge. Le mot « rouge » n’est plus seulement un adjectif mais également un substantif qui a une forte signification à lui tout seul. 

  • Dès 1850, un « rouge » désigne un révolutionnaire. 
  • Avec l’implantation des partis communistes, on parle de « vote rouge »  « banlieue rouge » « péril rouge« 
  • Et comment expliquer que le « Petit Livre rouge » de la révolution culturelle chinoise a inondé le monde entier? La plus importante vente de livres dans le monde, juste après la bible! 
  • Que dire des Khmers rouges au Cambodge, la Fraction armée rouge en Allemagne, les Brigades rouges en Italie?
  • A ce stade, le rouge n’est plus une couleur mais une idéologie non? 
  • Le rouge aujourd’hui

Citons le rouge qui interdit. Il semblerait que la société contemporaine a prolongé la fonction symbolique du rouge qui avertit, prescrit, proscrit, condamne, punit, et ceci à grande échelle. 

Le mot « rouge » désigne un danger ou une interdiction : alerte rouge, téléphone rouge, zone rouge, être dans le rouge, être sur la liste rouge, agiter le chiffon rouge

Mentionnons le rouge qui séduit

Tout change dans les pratiques commerciales, le rouge attire l’oeil et donc il fait vendre ! Un prix indiqué en rouge = une promotion. Un label rouge = une bonne qualité du produit. Dans l’affiche publicitaire, le rouge met en valeur, capte le regard, et donc séduit. Certaines grandes marques ne s’y sont pas trompées = Coca Cola, Mac Donald, Marlboro. Luxe absolu chez Hermès, Ferrari, Maserati, Louboutin, Valentino, Cartier et évidemment Ducati etc. etc. 

Et racontons le Père Noël. Il est l’héritier de Saint-Nicolas et contrairement à une idée répandue, il n’a rien d’américain. Il était représenté comme protecteur des enfants (en Anatolie) coiffé d’une mitre et vêtu d’un manteau rouge dans les images du Moyen-Âge. Et c’est le 6 décembre que les enfants recevaient des cadeaux. C’est encore le cas dans la plupart des pays nordiques tandis que dans l’Europe catholique, le Père Noël est fêté le 25 décembre et donc associé à la fête religieuse qu’est la naissance de Jésus. 

Remarquons le rouge qui se met en scène

  • La couleur rouge est associée au spectacle : le rideau rouge (la plupart du temps)  devient la couleur emblématique du théâtre et de l’opéra. 
  • La couleur rouge est également la couleur de la fête. Pensons au Moulin Rouge au pied de la butte Montmartre. C’est là où le public vient s’encanailler. 
  • La couleur rouge est également solennité. On coupe le ruban rouge lors de cérémonies d’inauguration ou autres, on déroule le tapis rouge quand on reçoit un chef d’état étranger (pas toujours quand même!). 
  • La couleur rouge est celle des honneurs. La légion d’honneur ne fait pas exception. Tout est rouge (enfin presque) barrette, rosette, ruban, cravate. Ricanons quand même un peu : en argot « avoir la rougeole » veut dire porter la légion d’honneur ; « avoir la fièvre rouge » signifie piaffer dans l’attente de l’avoir. 
  • Le rouge et l’art moderne

Henri Matisse aimait le rouge. Ses tableaux s’appellent « Grand intérieur rouge » « Les tapis rouges » « La desserte rouge » « Odalisque à la culotte rouge » « Les poissons rouges » « Nu assis sur fond rouge » et « L’Atelier rouge » (son atelier). 

Félix Vallotton et « La chambre rouge » L’espace vide et l’omniprésence des rouges fait de ce tableau l’un des plus étranges et des plus angoissants. 

  • Le rouge et nos sens 

Voyons en rouge. Pourquoi le rouge attire notre regard ? Parce qu’il se réfracte très vite sur notre rétine. Il ne nous agresse pas s’il est associé à des images positives (feu de bois, coquelicot, tomate). Ou plus négativement s’il s’agit d’un rouge vif (carmin), le sang, une menace, une blessure. 

Touchons en rouge. Cueillir une framboise, une tomate, une cerise, une fraise est un plaisir tout en rondeur. Frôler le rouge vernissé d’une Ferrari ou d’une Ducati, s’envelopper d’une étole de soie rouge, ou lécher une bonne glace à la fraise nous donne une sensation très agréable. 

Sentons en rouge. Les odeurs de rouge sont généralement fortes (viande, piment, épices, vins). 

Goûtons en rouge. Couleur préférée des enfants, le rouge de la gourmandise se fait confitures, bonbons, pralines, glaces.  Mais que dire des sauces à la diable, enragée, américaine, espagnole, bordelaise, bourguignonne, tomate, sans oublier le beurre paprika ou au piment. 

  • Le rouge en vrac

Jouons avec quelques citations. Ciel rouge le soir, laisse bon espoir, ciel rouge le matin, pluie en chemin. Proverbe français/////////. La liberté, c’est comme une grosse pomme rouge, c’est bien meilleur quand on y mord à belles dents. Lisa Carducci///////////. Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge. Picasso//////////.  La vie c’est la fleur et le couteau, c’est de voir rouge un jour, et bleu le lendemain. Anatole France////////.

Notons la multitude de rouges. rougeâtre, pourpre, vineux, carminé, corallin, sanglant, vermeil, rose, incarnat, roux, flamboyant, ardent, incandescent, bordeaux, lie-de-vin, grenat, rubis, magenta, amarante, carmin, corail, vermillon, etc.

Amusons-nous avec une liste de mots et expressions qui sonnent rouge. Pompier, Père Noël, Ferrari, Ducati, Dracula, corrida, Hermès, Coca Cola, le feu, rouge à lèvres, le petit chaperon rouge, le brasier, volcan, etc.//////. La cerise sur le gâteau, je n’ai plus un radis, j’en connais une pimentée, elle ramène sa fraise, se faire du mauvais sang, avoir le sang chaud, avoir le feu aux joues, piquer un fard, rougir comme une tomate, une pivoine, un homard, rougir de honte, voir rouge, se fâcher tout rouge, marqué au fer rouge, rouge de colère, du rouge qui tache.  

N’oublions pas d’autres histoires de rouge. Rouge-gorge / rougeole  / rouge-queue / rouget / rouge-pie / Croix-rouge / Croissant rouge / Mer rouge / Montrouge / Rougemont-le-Château /Collonges-la-Rouge/etc. etc. etc.

Copyright Michel Pastoureau

Laisser un commentaire